De l’excellent cru cinématographique 2011 un film aux allures de roman post-moderne, que n’aurait sans doute pas renié un Houellebecq - du moins sur le thème plus que sur le traitement-, a surgi ainsi qu’un souffle hoqueteux de désir vicié, un claquement capiteux et nauséabond d’élixir perdu.
Shame d’Alexandre McQueen aborde le thème de l’addiction sexuelle au travers d’un personnage masculin interprété par Michael Fassbender.
Ce film peut décevoir, notamment ceux qui, sous des prétextes cinématographiques, pensaient voir à moindre frais des scènes érotiques ; nous ne sommes plus à l’époque de Basic Instinct et le porno suinte à chaque coin de rue, à chaque onglet de page internet ; le cinéma ne révèle plus l’interdit dans les salles obscures ; l’obscur est, quant à lui, en libre-service.
Ce film peut gêner ou laisser une impression mitigée, cela est sans nul doute lié au traitement clinique qu’en fait le réalisateur. A aucun moment nous ressentons une quelconque empathie pour son personnage principal. En effet, Steve McQueen ne prend pas le parti de sauver son héros il démontre les mécanismes complexes de la dépendance, les rouages sournois de l’addiction, en cela identiques à ceux de l’alcool et de la drogue, où chacun, souhaitant revivre l’extase de la première bouffée, de la première ivresse, augmente à chaque fois un peu plus la dose.
Mensonge, solitude, paranoïa, voyeurisme, rien n’est laissé de côté, et une somptueuse bande-son accompagne le personnage principal dans ses errements. Et, ce qu’il y a de remarquable dans ce film, en plus de la prestation – sans jeu de mots- physique de Michael Fassbender, c’est le cercle vicieux dans lequel celui-ci tombe : il ne peut plus consacrer de relation normale avec autrui, en particulier avec la gent féminine, sans se référer inconsciemment aux images pornographiques qu’il a vues. Plusieurs scènes, notamment sur ses propres pratiques sexuelles, sont en cela significatives et posent d’ailleurs de manière très troublantes la trace cognitive que laisse dans nos cerveaux ces images et actes pornographiques ; on pense aussi à la tentative de flirt qu’il a avec une de ses collègues, relation qui sombre quasiment dès son commencement. L’incommunicabilité dans lequel le place son addiction le rend tout autant affligeant et il lui faudra aller jusqu’au bout de la souillure de soi pour qu’il réalise à quel point il est malade.
Car si ce personnage est aussi antipathique c’est aussi parce qu’il ne s’aime pas et ne peut, par conséquence, aller vers autrui sans être pourri par sa dépendance. Cependant, et c’est une des faiblesses du film, si le réalisateur entrouvre, notamment par le biais de la sœur du personnage, les raisons psychologiques et historiques de celui-ci qui auraient pu le faire aboutir à cela, McQueen referme aussitôt la porte. Au moins n’adopte-t-il pas ce réflexe très anglo-saxon d’aller chercher uniquement des ressorts psychologiques pour expliquer son comportement.
Non, ce que nous livre McQueen, notamment par la très intéressante scène finale du métro, miroir de la toute première, c’est que l’addiction sexuelle est aussi liée aux référents de notre société qui consomme désormais le corps comme tout autre produit de consommation. Et si le réalisateur nous laisse sans nous indiquer le choix que fera son héros principal, c’est que son propos n’est pas de nous offrir la chute puis la rédemption d’un drogué, ni même une réflexion sur le libre-arbitre, mais un instantané vertigineux pour qui le piège d’une société de consommation se referme sur soi, car, pour reprendre les propos de Cioran « être c’est être coincé ».